du cœur et de la pensée, sont aussi fragiles que la propriété des choses matérielles ? »
Ô maître poëte ! comme je me sentais, comme je me croyais encore riche, quand, il y a un an et demi, je vous lisais au bord de la Creuse, et vous promenais avec moi en rêve le long de cette Gargilesse honorée d’une de vos rimes, petit torrent ignoré qui roule dans des ravines plus ignorées encore. Je me figurais vraiment que ce désert était à moi qui l’avais découvert, à quelques peintres et à quelques naturalistes qui s’y étaient aventurés sur ma parole et ne m’en savaient pas mauvais gré. Eux et moi, nous le possédions par les yeux et par le cœur, ce qui est la seule possession des choses belles et pures. Moi, j’avais un trésor de vie, l’espoir ! l’espoir de faire vivre ceux qui devaient me fermer les yeux, l’illusion de compter qu’en les aimant beaucoup, je leur assurerais une longue carrière. Et, à présent, j’ai les bras croisés comme, au lendemain d’un désastre, on voit les ouvriers découragés se demander si c’est la peine de recommencer à travailler et à bâtir sur une terre qui toujours tremble et s’entr’ouvre, pour démolir et dévorer.