Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/162

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pagnie, préférait prendre une heure ou deux de repos au café avec Purpurino Purpurini, qu’il accablait d’invectives effroyables tout en le régalant, et qui le traitait de son côté avec un profond dédain. Ces deux ennemis irréconciliables ne pouvaient se passer l’un de l’autre ; on n’a jamais su pourquoi.

J’avoue qu’en recevant la première invitation collective dont notre directeur me fit part, je fus un peu surpris et tout prêt à suivre l’exemple de Léon. Je n’avais pas, comme lui, les idées et les mœurs d’un gentilhomme ; mais j’avais conservé la fierté du paysan qui n’aime pas à recevoir ce qu’il ne peut rendre. Léon ne blâmait pas Bellamare d’aimer cette vie joyeuse et facile, puisqu’il y portait la flamme de son intelligence et le charme de son enjouement ; mais il se jugeait maussade, et rien n’était plus fâcheux, selon lui, qu’un parasite de mauvaise humeur.

Je n’avais pas le même motif pour concevoir des scrupules. J’étais naturellement gai ; mais, comme artiste, je n’avais encore montré que mes défauts. J’étais peut-être condamné à la nullité, je ne pouvais donner au public aucun plaisir, je n’avais aucun droit au bon accueil qu’on faisait aux autres.