Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/15

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juges, lecteurs et critiques. C’est en vain que vous résistez aux voix qui s’élèvent de toute part : au fond de vos consciences parlent des voix bien plus éloquentes que la mienne ; et tel de vous m’a condamné pour la forme, qui, dans son âme sentait les mêmes douleurs, les mêmes révoltes, les mêmes besoins que moi. Mais, errant dans les ténèbres du doute, hommes malheureux que nous sommes ! il nous arrive souvent de prendre nos amis pour des ennemis, et réciproquement. Cela n’empêchera pas ceux de nous qui commencent à distinguer le crépuscule de la nuit, et à aimer l’humanité malgré les erreurs des hommes, de chercher toujours et de tenir fermes dans leurs mains ces mains qui les repoussent et qui les méconnaissent.

Vous tous qui m’avez tant de fois traduit au tribunal de l’opinion avec emportement, avec dureté, avec une sorte de haine personnelle, étrange, inexplicable !… je ne vous traduis point au tribunal de la postérité. Instruite de tous les mystères qui nous épouvantent, elle nous poussera tous ensemble dans l’abîme bienfaisant de l’oubli. De nos manifestations diverses, s’il reste une faible trace, nos enfants verront bien que tel d’entre nous qui gourmanda l’égoïsme et l’apathie des autres, les aima puissamment et n’en fut point sérieusement haï. Nos pères furent incertains et malheureux, diront ils ; mais ils furent trop près de la vérité pour ne point se sentir échauffés déjà d’un rayon de la bonté divine.