Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/19

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qui l’ont combattue, n’a jamais pu mettre en pratique. L’art pour l’art est un mot creux, absolument faux et qu’on a perdu bien du temps à vouloir définir sans en venir à bout : parce qu’il est tout bonnement impossible de trouver un sens à ce qui n’en a pas.

Demandez à un poëte, au plus exclusivement poëte de tous les hommes, de faire des vers, seulement pour faire de beaux vers, et de n’y pas mettre l’ombre d’une idée philosophique, vous verrez s’il en vient à bout, ou bien vous verrez quels vers ce seront. Prenez la pièce la plus romantique, la plus purement descriptive des chefs de la prétendue doctrine de l’art pour l’art, et vous verrez si, au bout de dix vers, l’humanité, le sentiment et le souvenir de ses grandeurs ou de ses misères, ne viennent pas animer, expliquer, symboliser le tableau.

Quand M. Victor Hugo dit : La mer était désespérée, il met une âme dans la mer, une âme orageuse et troublée, une âme de poëte, ou l’âme collective de l’humanité.

Les anciens disaient : Tethys est en fureur ; eux aussi personnifiaient les tumultes des passions humaines jusque dans ceux des éléments. C’est qu’il n’est pas possible d’être poëte ou artiste, dans aucun genre et à quelque degré que ce soit, sans être un écho de l’humanité qui s’agite ou se plaint, qui s’exalte ou se désespère.

J’ai donc prêché à ma manière, comme l’ont fait avant moi et autour de moi, comme le feront toujours tous les artistes.

De tout temps, on a cherché querelle à ceux qui avaient le goût des nouveautés, comme disaient les anciens orthodoxes, c’est-à-dire la croyance au pro-