Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/18

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et vraies ; je n’ai pas toujours tout compris dans les moyens pratiques que plusieurs ont proposés, soit qu’ils fussent obscurs, soit plutôt que mon cerveau fût impropre à saisir les combinaisons et les calculs des probabilités. Je ne me suis pas tourmenté dans mon impuissance ; j’ai trouvé qu’il me restait bien assez à faire en employant le genre de facultés qui m’était échu, au développement du sentiment de la justice et de l’amour de mes semblables. J’avais une nature d’artiste, et, quoi qu’on en dise, je n’ai jamais voulu être autre chose qu’un artiste ; ceux qui ont cru m’humilier et me blesser en proclamant que je n’étais pas de taille à faire un philosophe m’ont fait beaucoup de plaisir, car chacun a l’amour-propre d’aimer sa propre organisation et de s’y complaire comme l’animal dans son propre élément. Mais, en prétendant que mon organisation et ma vocation d’artiste s’opposaient en moi à l’intelligence et au développement des vérités sociales élémentaires et à l’amour des éternelles vérités dont le christianisme est la philosophie première, on a dit un sophisme tout à fait puéril. A-t-on jamais reproché aux peintres de la renaissance de se poser en théologiens parce qu’ils traitaient des sujets sacrés ! Les peintres flamands avaient-ils la prétention de se dire savants naturalistes parce qu’ils étudiaient et connaissaient les lois de la lumière ! Quel est donc l’artiste qui peut s’abstraire des choses divines et humaines, se passer du reflet des croyances de son époque, et vivre étranger au milieu où il respire ? Vraiment, jamais pédantisme ne fut poussé aussi loin dans l’absurde que cette théorie de l’art pour l’art, qui ne répond à rien, qui ne repose sur rien, et que personne au monde, pas plus ceux qui l’ont affichée que ceux