Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/209

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en toi de toutes les sources de la vie, l’amour, la confiance, la franchise et la bonté. C’est ce déplorable adieu que tu es forcé de dire à la paix de ta conscience et aux instincts de ta tendresse. C’est cette nécessité de devenir ombrageux, hautain, violent, ironique, vindicatif et cruel. C’est cette fatalité qui arme contre ton semblable ta main loyale et brave. C’est cet amour même du vrai et du juste qui te condamne à devenir stupide ou méchant ; et, ne pouvant être ni l’un ni l’autre, tu te sens devenir fou :


        They fool me to the top of my bent ;
They compell me to play the fool till I can endure to do it no longer.

Hélas ! cette amertume de ta vie, ce désespoir tour à tour furieux et morne se résument en un cri intérieur dont le retentissement se fait en nous tous, et qui peut se traduire ainsi : « Mon Dieu, pourquoi des méchants parmi nous ? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi le mal dans ton œuvre ? »

Oui, te voilà tout entier, Hamlet, dans ce cri de l’humanité révoltée contre elle-même. Voilà le secret de tes larmes, de tes fureurs et de tes épouvantes. Voilà le secret de notre pitié, de notre tendresse et de notre effroi pour ton mal. Lequel de nous oserait dire, quand il contemple l’étendue de ce mal auquel la terre est livrée, qu’il sera plus fort, plus juste et plus patient que toi ? Lequel de nous, quand il s’égare aux abstractions de la métaphysique, ou quand il s’abandonne aux entraînements de la réalité, aux jouissances de l’esprit, aux amusements de la jeunesse, aux espérances de l’amour, oserait s’assurer qu’il n’est pas un fou, un esprit débile et troublé en qui le souvenir