Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/223

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leur enseigne l’amour de l’égalité, et, pour ce faire, il faudra, de toute force, que je commence par m’annihiler moi-même devant ma doctrine. Car si j’allais débuter par leur dire : « Respectez-moi, adorez-moi, prosternez-vous devant le membre de l’Académie et devant l’Académie en masse, » ils me riraient au nez et me demanderaient où je prends la liberté, l’égalité, la philosophie, la pensée, l’esprit de Dieu, toute ma prétendue puissance, toute ma prétendue inspiration… Là, je fus arrêté court au milieu de mon rêve, par des applaudissements enthousiastes, je demandai ce que l’orateur venait de dire, et sa phrase me fut répétée. Elle était belle et je l’ai retenue.

« Qui que vous soyez, voulez-vous avoir de grandes idées et faire de grandes chose ? croyez, ayez foi. Ayez une foi religieuse, une foi patriotique, une foi littéraire. Croyez à l’humanité, au génie, à l’avenir, à vous-même. »

Et je me demandais en relisant cette belle sentence, si ce n’était pas un peu vague et s’il y avait autant d’ordre dans l’enchaînement des pensées que dans celui des mots ; foi religieuse — croire à l’humanité ? Bien, vous nous parlerez de Dieu sans doute un autre jour. — Foi patriotique — croire au génie ? Génie de qui ? À celui de la nation, ou à celui du roi ? à celui des chambres, ou peut-être à celui de l’Académie ? — Foi littéraire — croire en soi-même ? Pardon ! cela n’est pas donné à tout le monde. Il faut pour cela passer académicien. Si c’est aux académiciens seulement que vous parlez, soit ! mais nous autres, si par malheur nous ne croyons point en vous, que nous arrivera-t-il ?

Comme je rêvais encore, on applaudit encore, et