Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mier rang. Peut-être faut-il être très-artiste soi-même pour comprendre cela ; mais qu’y a-t-il de plus artiste que le peuple de Paris ? Allez voir avec quel sérieux tous ces gamins des faubourgs regardent la pantomime inimitable de leur Pierrot bien-aimé ! Ils ne rient pas beaucoup ; ils examinent, ils étudient, ils sentent la finesse, la grâce, l’élégance, la sobriété et la justesse d’effet de tous ses gestes et du moindre jeu de cette physionomie si délicatement dessinée sous son masque de plâtre, qu’on la prendrait pour un de ces charmants camées grotesques retrouvés à Herculanum. C’est que, en effet, il y a, dans l’exécution parfaite d’une fantaisie quelconque, quelque chose de sérieux qui provoque plus d’étonnement et de satisfaction que de grosse gaîté.

Vous connaissez cette race particulière aux faubourgs de notre grande ville, race intelligente, active, railleuse, à la fois débile et forte, frivole et terrible ; faible d’organisation, pâle, fiévreuse ; des têtes prématurément dépourvues de la fraîcheur de l’enfance, et prématurément pourvues de barbe et de longs cheveux noirs, avec des corps grêles, souples et petits. Là, il n’y a pas de santé. La misère, les privations, le travail ou l’oisiveté forcés, également destructifs pour la jeunesse, un climat malsain, des habitations méphytiques, de père en fils un étiolement marqué, des conditions d’existence déplorables, c’en est bien assez pour ruiner la sève la plus généreuse. Et pourtant il y a là aussi une énergie fébrile, une habitude de souffrir, une insouciance moqueuse, une perpétuelle excitation des nerfs, qui font que ces pauvres enfants résistent à la maladie et à la mort, mieux que l’épais John Bull, gorgé de viande et de vin. Irritez cette po-