Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/228

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pulation, et vous la voyez héroïque jusqu’à la folie sur les barricades ; idéalisez-la un peu, et vous aurez le gamin de Paris, admirable création de Bouft’é. Mais voulez-vous la voir dans le calme de la réalité ? Allez aux petits théâtres du boulevard, allez la voir en face de son maître de grâces, de son professeur de belles manières plaisantes, de son type d’insouciance dégagée, de perspicacité soudaine et de sang-froid, superbe en face de son idéal enfin, Pierrot Deburau ! Dans une étroite enceinte où la scène est à peine séparée de l’auditoire, où aucun des linéaments de la physionomie délicate d’un mime n’échappe aux regards avides de ses élèves, où tout est homogène, artistes et spectateurs, où alternativement ils s’étudient et s’inspirent les uns des autres à force de se lire mutuellement dans les yeux ; allez voir, d’un côté, ces milliers de tètes crépues qui se pressent, l’œil fixe et la bouche béante, le long des balustrades de fer ; de l’autre ces joyeux saltimbanques qui s’amusent pour leur compte et s’entassent jusque dans la coulisse, tous fascinés ou électrisés par l’activité calme et l’entrain majestueux de Pierrot. L’entr’acte a été orageux. Malheur à qui ose promener un impertinent lorgnon sur ces groupes pittoresques entassés et suspendus d’une manière effrayante aux grilles du pourtour. Malheur aux toilettes ridicules qui se risqueraient à l’avant-scène, ou aux gens délicats qui porteraient trop visiblement un flacon à leurs narines !

Mille quolibets inouïs, un hourra impétueux, des cris d’animaux, un luxe incroyable d’imagination, de tapage et de sonorité imitative auraient bientôt fait justice de la moindre inconvenance. Mais que Deburau paraisse, et, aux premières acclamations d’enthou-