Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/229

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siasme, succède le silence du recueillement. Lui aussi semble recueilli, le maître ! Sa face blafarde est impassible. Il est renfermé dans la majesté de son rôle, et il semble en méditer toute la profondeur.

Pierrot n’est pas un être vulgaire, éternel et patient ennemi d’Arlequin, cet enfant gâté des fées et des belles, il est, lui, protégé aussi par certains génies qui l’assistent dans sa longue lutte. Mais, comme il n’est que le serviteur de Cassandre, et l’allié naturel du rival d’Arlequin, il ne daigne pas disputer Colombine pour son propre compte, et l’on voit qu’il ne va combattre que pour l’acquit de sa conscience. Or, la conscience de Pierrot est aussi large que son pourpoint flottant. Il entre dans l’arène, il la traverse et en sort en amateur, certain qu’au dénouement tout s’arrangera pour le mieux, et que les fées l’admettront à la noce de Colombine, où il achèvera enfin ce repas commencé et interrompu, dans toutes les fantastiques régions du ciel et de l’enfer où le démon le promène. Pierrot fait donc la guerre en amateur. Peut-être, dans la pensée des poètes qui le créèrent, est-il né gourmand, libertin, colère et fourbe ; mais Deburau a mis la distinction de sa nature à la place de cette création grossière. Il n’est point vorace, mais friand. Au lieu d’être débauché, il est galant, un peu volage à la vérité ; mais il faut tant de philosophie dans une vie agitée et traversée comme la sienne ! Il n’est point fourbe, mais railleur et plaisant ; il n’est pas colère non plus ; il est équitable, et quand il administre ses admirables coups de pied, c’est avec l’impartialité d’un juge éclairé et la grâce d’un marquis. Il est essentiellement gentilhomme jusqu’au bout de ses longues manches, et il n’est point une chiquenaude qu’il