Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bée la poésie proprement dite dans la consommation publique. Ces élans isolés, cette prodigalité descriptive, ces rêveries vagues que chacun s’est cru en droit de rimer, sont devenus à la longue ou monotones, ou chatoyants à l’excès.

L’esprit positif du moment veut que la pensée se fixe et s’individualise. On a tant écrit, on a tant lu d’œuvres où la forme l’emporte sur le fond, qu’on en est fort rassasié. La forme a gagné à cet abus. Elle s’est répandue, elle est devenue accessible à un très-grand nombre d’adeptes. Il faut en savoir gré aux maîtres, car c’est là un progrès réel. Mais enfin, nous avons tous bu comme des éponges à ces sources abondantes, et voilà que nous n’avons plus soif.

Pourquoi s’est-on moins lassé du roman et du théâtre, malgré l’abus qu’on a fait aussi de cette denrée ? C’est que, bon ou mauvais, le roman, dans les livres ou sur la scène, est une histoire de l’homme. Impossible ou vraisemblable, intéressant ou révoltant, c’est quelque chose qui veut ressembler ou qui ressemble à sa vie, et chacun de nous lit cela, un peu comme les malades qui cherchent l’analyse et la description de leurs maux réels ou imaginaires dans les livres de médecine.

Le poëte purement lyrique est un type trop isolé et souvent insaisissable. Ce n’est plus personne, parce que c’est trop tout le monde. Il admire le ciel, les fleurs, les étoiles ; nous pouvons tous en faire autant. Il les chante parfois mieux que nous ne saurions les chanter ; soit ! Mais nous avons tous, à tort ou à raison, la prétention de sentir les beautés de la nature, et cette faculté, si répandue, ne nous semble plus constituer une puissance particulière suffisante pour