Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/269

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exciter notre curiosité blasée, pour éveiller notre sympathie avare ou paresseuse.

Qui donc lirait aujourd’hui, avec le respect et l’intérêt qu’elles méritent, les Méditations, les Harmonies, les Odes et Ballades, toutes ces belles choses qui nous ont passionnés hier, si elles nous apparaissaient pour la première fois après les innombrables imitations de l’école ? Sans doute, les lettrés y reconnaîtraient la main des maîtres ; mais le public, hélas ! ne voudrait peut-être pas savoir que cela existe. Il dirait brutalement au volume : « Description, que me veux-tu ? Rêverie, où veux-tu que je prenne le temps de te suivre ? Extase, où veux-tu que je trouve l’état de rame où je peux te ressentir ? Méditation, sur quels sujets prétends-tu que je m’absorbe ? » Pauvre public que nous sommes, nous vivons trop, nous n’avons plus le loisir d’exister !

Et les poëtes, les maîtres eux-mêmes, pourraient-ils recommencer leur phase de pur lyrisme ? Non ! ils sont hommes comme nous, ils vivent, ils s’agitent, ils souffrent ou réfléchissent, ils ne rêvent plus. C’est ce qui est arrivé à Charles Poncy. À son insu peut-être, et sans grande préméditation, il a fait, d’un recueil de poésies détachées, une histoire individuelle. Une passion a dominé son caprice. Elle a commencé avec l’œuvre par un sentiment vif, jeune et riant. Elle est devenue une ivresse, puis elle s’est faite violente, douloureuse, désespérée. Chaque phase de cette passion est devenue un chant du poëme, un chapitre du roman, un acte du drame. Fiction de poète, ou douleur d’homme, peu importe : le cri de l’âme s’est exhalé, et le volume de vers, c’est l’histoire saisissante d’un cœur brisé.