Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/29

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madame Dubarry. Pensez-vous que mademoiselle Mars ait aussi bien compris l’esprit de Beaumarchais, dans Suzanne, que madame Dorval a compris l’esprit du règne des cotillons dans la pièce de M. de Rougemont ? Ne vous est-il pas venu quelquefois à l’esprit, en voyant cette Suzanne, si aimable, si suave, si exquise dans tous ses mouvements, qu’elle était bien plus française qu’espagnole ? que son œil noir avait trop de tendresse et pas assez d’ardeur ? que son maintien comme sa toilette n’était pas tout à fait aussi pétulant, aussi fripon, aussi malicieux que vous l’aviez rêvé en vous introduisant dans cette famille d’amoureuses intrigues et de mignonnes scélératesses domestiques ? Quelquefois ne semble-t-il pas que mademoiselle Mars ait peine à se débarrasser de cet air d’urbanité bienveillante et convenable qu’elle a pris dans ses rôles habillés ? Cette jolie et gracieuse camériste de madame Almaviva n’est-elle pas un peu trop son égale et sa compagne ? est-ce bien là la soubrette Suzon qui inspire des désirs à tous les hommes ? Il faut que ce comte Almaviva soit bien fat et bien sot pour s’être flatté de séduire, à la veille de son mariage, cette personne si bien élevée, si élégante de manières, si pudiquement modeste au milieu des plus grands éclats de sa gaieté ! nous avons bien peur que mademoiselle Mars ne sacrifie parfois la vérité forte et saisissante d’un rôle à des habitudes de bon ton qui plaisent à une classe de spectateurs exclusifs, mais qui diminuent la puissance de ses effets sur les masses ? »

À cela les admirateurs de mademoiselle Mars répondaient : « C’est possible, mais voyez quelle justesse inimitable de gestes ! quelle exquise gentillesse