Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/385

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sous le rapport moral, nous n’acceptons pas la complète et réelle sagesse de César. Nous ne voulons pas confondre l’adresse avec la véritable habileté, et l’ambition de la puissance avec celle de la véritable civilisation.

On nous invite pourtant à ne pas le croire égoïste. On invoque les plus nobles mobiles des actions humaines ; on nous demande avec une conviction courtoise et généreuse, s’il est probable qu’un vaste esprit, un caractère héroïque, ait tout sacrifié aux étroits calculs d’une mesquine ambition. C’est presque nous dire : Aimez-vous à croire le mal, à profaner les marbres, à chercher la tache dans le soleil ?

Non certes, nous n’aimons pas cela ; et il nous plairait fort de trouver quelque part dans l’histoire des audacieux, un type sans reproche, un idéal incorruptible. Mais nous ne croyons plus à l’homme d’action proprement dit. Notre temps repousse les colosses d’intelligence et de volonté, s’ils ne sont pas fécondés par le véritable amour de l’humanité. Nous ne les comprenons plus. Ils ont en eux je ne sais quoi de surhumain dans un sens et de sauvage dans l’autre qui ne nous enseigne rien, et ce qui nous instruira le plus dans l’histoire de César, ce sera le néant de sa fortune s’écroulant sous l’ingratitude des hommes que son mépris avait achetés. C’est ici la grande leçon dont nous profiterons tous, en ce temps où l’intérêt général devient une vérité palpable, et où le siège de la force n’est plus dans le nombre des légions ni dans l’or de la conquête, ni même dans le génie d’un seul, mais dans le vif sentiment de la solidarité humaine, et dans le rapide développement de l’esprit d’association.