Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

foule d’hommes de toutes les classes du peuple et de la bourgeoisie l’avaient ramené chez lui. Il les avait remerciés, m’a-t-on dit, en les priant avec douceur de ne pas s’exposer à cause de lui aux brutalités de la police qui eût pu prendre ce rassemblement pour une émeute.

Il ne joua pas le vieux marquis de Bois-Doré, il fut le personnage même, tel que l’auteur du roman l’avait rêvé, tel que l’auteur de la pièce l’avait réellement créé.

J’ai le droit de dire ici que le type est éminemment intéressant et dramatique, puisqu’en rassemblant des traits épars dans la longue et facile analyse d’un livre, Paul Meurice a modelé de ses propres mains une figure qui se pose en quelques mots et se manifeste vivante en quelques scènes. C’est ainsi qu’avec la légende du Juif errant, Quinet a fait Ahasvérus, et que beaucoup d’autres maîtres ont donné la personnalité à des figures entrevues à travers le récit et la tradition, bonne ou mauvaise, qui leur en avait donné l’idée première.

La mort tenait Bocage, mais le personnage, le type, la création de l’artiste, Sylvain de Bois-Doré, échappait à la mort et semblait la tenir à distance. Pendant trois mois, cloué tous le jour sur son lit, ne parlant pas, ne dormant pas, Bocage se relevait le soir et faisait revivre l’héroïque et chimérique vieillard.

Dans la première partie du rôle, il se moquait peut-être un peu trop de lui-même, comme un enfant qui sait à quoi s’en tenir sur ses poupées. Il était, à mon sens plus spirituel que naïf, et Lafont me semble avoir mis plus de naïveté dans la conception, partant plus de comique. Mais Lafont est bien portant et bien vivant, et le pauvre Bocage avait bien de la peine à faire sourire la mort !