Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/51

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Fatiguées, mais non brisées, elles enfoncent encore leurs racines dans le roc, elles élèvent encore leurs calices desséchés et flétris pour aspirer la rosée du ciel ; mais, courbées par les vents contraires, elles retombent et rampent sans pouvoir vivre ni mourir, et le pied qui les foule ignore la lutte immense qu’elles ont soutenue avant de plier.

Les âmes atteintes de cette douloureuse colère peuvent avoir eu la jeunesse de René. Elles peuvent avoir répudié longtemps la vie réelle, comme n’offrant rien qui ne fût trop grand ou trop petit pour elles ; mais à coup sûr elles ont vécu la vie de Werther. Elles se sont suicidées comme lui par quelque passion violente et opiniâtre, par quelque sombre divorce avec les espérances de la vie humaine. La faculté de croire et d’aimer est morte en elles. Le désir seul a survécu, fantasque, cuisant, éternel, mais irréalisable, à cause des avertissements sinistres de l’expérience. Une telle âme peut s’efforcer à consoler Obermann, en lui montrant une blessure plus envenimée que la sienne, en lui disant la différence du doute à l’incrédulité, en répondant à cette belle et triste parole : « Qu’un jour je puisse dire à un homme qui m’entende : Si nous avions vécut » — Obermann, consolez-vous, nous aurions vécu en vain.

Il appartiendra peut-être à quelque génie austère, à quelque psychologue rigide et profond, de nous montrer la souffrance morale sous un autre aspect encore, de nous dire une autre lutte de la volonté contre l’impuissance, de nous initier à l’agitation, à l’effroi, à la confusion d’une faiblesse qui s’ignore et se nie, de nous intéresser au supplice perpétuel d’une âme qui refuse de connaître son infirmité, et qui, dans l’épou-