Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/52

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vante et la stupéfaction de ses défaites, aime mieux s’accuser de perversité que d’avouer son indigence primitive. C’est une maladie plus répandue que toutes les autres, mais que nul n’a encore osé traiter. Pour la revêtir de grâce et de poésie, il faudra une main habile et une science consommée.

Ces créations viendront sans doute. Le mouvement des intelligences entraînera dans l’oubli la littérature réelle, qui ne convient déjà plus à notre époque. Une autre littérature se prépare et s’avance à grands pas, idéale, intérieure, ne relevant que de la conscience humaine, n’empruntant au monde des sens que la forme et le vêtement de ses inspirations, dédaigneuse, à l’habitude, de la puérile complication des épisodes, ne se souciant guère de divertir et de distraire les imaginations oisives, parlant peu aux yeux, mais à l’âme constamment. Le rôle de cette littérature sera laborieux et difficile, et ne sera pas compris d’emblée. Elle aura contre elle l’impopularité des premières épreuves ; elle aura de nombreuses batailles à livrer pour introduire, dans les récits de la vie familière, dans l’expression scénique des passions éternelles les mystérieuses tragédies que la pensée aperçoit et que l’œil ne voit point.

Cette réaction a déjà commencé d’une façon éclatante dans la poésie personnelle ou lyrique : espérons que le roman et le théâtre ne l’attendront pas en vain.

Mai 1833.