Page:Sand - Questions politiques et sociales.djvu/46

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pittoresque dans son ergot, a donné au garçon boulanger le nom de geindre. Geindre signifie gémir ! Et c’est avec des gémissements, en effet, avec une sorte de cri douloureux et sauvage que le boulanger soulève et frappe cette pâte dont vous admirez la blancheur et la légèreté. N’avez-vous jamais passé, la nuit, devant ces soupiraux d’où s’exhale une vapeur brûlante, et n’avez-vous pas entendu, au milieu du silence de la ville endormie, ce râle effrayant du pauvre geindre, auquel rien ne répond que l’horloge qui compte ses heures de peine ! C’est une poitrine humaine qui se dessèche et qui se brise pour vous ! On croirait assister à la dernière scène d’un meurtre ; cette pâte frappée lourdement sur la table, on dirait d’un cadavre qui tombe sous les coups ; et cet effort retentissant des poumons de l’ouvrier, c’est comme les derniers soupirs de l’agonie.

Eh quoi ! un travail si pénible, et le travail de l’enfourneur plus affreux encore, occupent dix-huit heures sans interruption le malheureux ouvrier t et, pour se coucher, lorsqu’il tombe de fatigue, il n’a qu’un grabat misérable dans un coin de l’antre ! Le luxe a prodigué ses merveilles dans un salon, au-dessus de sa tête, et l’exploiteur du travail a oublié qu’une des dépenses nécessaires de son établissement était une pièce saine, aérée et propre, où le martyr, au sortir de la fournaise, pût aller, pendant quelques heures, fuir l’atmosphère dévorante, fuir le bruit insoutenable, ou l’humidité infecte et mortelle de l’atelier !

Et après tant de maux, grâce au mince salaire ou au manque d’ouvrage, eu aux intrigues des placeurs,