Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/246

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avec sévérité sur la mémoire de l’homme de 1821, de 1833 et de la capitulation de Milan. Mais la nature, la trempe de l’individu suffisait à elle seule pour exclure tout espoir d’une entreprise de sa part en faveur de l’unité italienne. Le génie, l’amour, la foi manquaient à Charles-Albert. Du génie qui se révèle par une existence tout entière, dévouée logiquement, résolument, efficacement à une grande idée, la carrière de Charles-Albert n’offre pas le moindre vestige. L’amour était étouffé par la méfiance continuelle envers les hommes et les choses qu’entretenaient en lui les souvenirs d’un triste passé. La foi lui était interdite par son naturel incertain, hésitant, sans cesse oscillant entre le bien et le mal, entre faire et ne pas faire, entre oser et reculer. Dans sa jeunesse, une pensée, non de vertu, mais d’ambition italienne, de cette ambition pourtant qui peut profiter aux peuples, lui avait traversé l’âme comme un éclair. Il avait reculé devant elle tout effrayé ; cependant, le souvenir de cet éclair de ses jeunes ans se réveillait en lui parfois et le poursuivait avec insistance, plutôt comme le picotement d’une ancienne blessure que comme une excitation à la vie. — Entre le risque de perdre, s’il échouait, la couronne de sa petite monarchie, et la frayeur de cette liberté que le peuple, après avoir combattu pour lui, viendrait à revendiquer, il marchait, ce spectre devant les yeux, presque chancelant, sans énergie pour affronter les périls qu’il redoutait, sans pouvoir et sans vouloir même comprendre que, pour devenir roi d’Italie, il fallait d’abord oublier qu’il était roi de Piémont. Des-