Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/40

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sous la République. Nous le voulons, nous, les logiciens par excellence ; nous, le libre et impartial souverain de la situation ; nous, le grand nombre qui a toujours plus raison que chacun, et qui sera toujours plus tranquille et plus fort que quelques-uns.

Là-dessus, le peuple se leva de grand matin. Tous ceux qui avaient un habit et un fusil s’équipèrent à la hâte, en riant, en chantant, car jamais le peuple français n’est plus gai que quand il a raison. Tous ceux qui n’avaient qu’une blouse et un fusil, prirent leur fusil et leur blouse, et ceux qui n’avaient pas encore de fusil se rappelèrent ce vers si profondément philosophique de la complainte de Malbrouck :

        L’autre ne portait rien.


Ce qui signifie que le Français marche quand même avec les mains vides et l’estomac creux. Partout où il veut aller, il porte ses bras prêts à tout, capables de renverser des trônes et des montagnes, son cœur ardent comme la flamme, sa voix qui retentit d’un pôle à l’autre, sa logique qui trouve toujours une solution imprévue à tous les problèmes de la politique. Et le voilà parti.

Mais il n’est pas seul. Ses vieux parents attendris, ses petits enfants curieux, ses sœurs, sa femme courageuse et enthousiaste, tous veulent voir aussi la fête et y porter leurs acclamations, leur adhésion, leur concours ; ils iront tous. Personne ne gardera la maison. Paris sera désert ce jour-là, à l’exception de