Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/41

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ses grandes veines de circulation qui, de la Bastille, de la cité, de l’Observatoire, de tous ses points extrêmes jusqu’à l’arc de triomphe des Champs-Élysées offriront à l’œil stupéfait une masse profonde, étincelante, bizarre, superbe, plaisante, inouïe de casquettes usées et de casques brillants, de baïonnettes et de bouquets, de bonnets de femme et de blondes têtes d’enfants, de crânes chauves et de schakos, de drapeaux et de parapluies. Car il pleut, mais qu’importe ? on se mettra six, on se mettra douze si l’on peut sous chacun de ces frêles abris étendus charitablement sur toutes les têtes. On sera mal abrité, mais on en rira. La journée sera longue, le défilé durera douze heures. Aura-t-on de quoi manger ? Bah ! on n’y songera pas. Allons toujours.

Quel spectacle ! jamais dans les annales de la vie humaine il ne s’en est produit un semblable ; jamais tant d’êtres humains ne se sont trouvés rassemblés à la fois dans un si petit espace. Un million d’âmes ! car toute la banlieue, toute la vaste ceinture de Paris accourait aussi, chaque citoyen avec sa famille. Du sommet de l’arc de triomphe c’était une vision, un rêve. Sous ce vaste ciel rayé de nuages, coupé de pluie et de rayons de soleil, la gigantesque enceinte d’une ville immense avec ses dômes puissants, ses monuments superbes, ses clochers aigus, ses flèches, sa rivière jaune, ses vastes prairies, ses maisons innombrables. Quel cadre pour une scène sans pareille ! La fédération du Champ-de-Mars n’était qu’un jeu d’enfant auprès de ce qui s’est produit