Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/60

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Pour mieux définir la chose, supposons deux frères. L’aîné est choisi par le père de famille pour faire valoir et cultiver son champ. C’est l’homme de campagne. Dans les villes, on l’appelle paysan, ce qui ne veut pas dire, comme beaucoup de nous l’entendent, un homme qui parle mal et ne pense point, mais un homme attaché au pays comme le mot l’explique. Le cadet, voyant que le champ ne peut pas occuper deux personnes et nourrir toute la famille, s’en va apprendre un métier à la ville ; il s’y établit en apprentissage, ou il fait son tour de France, ou, d’une petite ville, il passe dans une grande. C’est l’industriel que nous nommons artisan.

Voilà bien deux frères, deux hommes du même sang et du même cœur. Sortis du même nid, ils ne sont pas plus l’un que l’autre, et, en se quittant, ils s’embrassent ; ils pleurent parce qu’ils s’aiment ; ils se donnent parole de rester amis, de ne jamais devenir étrangers l’un pour l’autre, et de se visiter le plus qu’ils pourront.

L’artisan s’en va au loin, et bientôt il change toutes ses habitudes, toutes ses idées. L’esprit lui vient en voyant beaucoup de choses nouvelles. Il prend du goût pour une toilette qu’il n’avait pas encore portée, pour des sociétés qu’il n’avait point fréquentées, pour la politique dont il ne s’était jamais inquiété. Il sait lire et écrire, il regarde les journaux, ou il apprend par ses camarades les grandes affaires qui se passent dans le monde. Il se marie avec une femme qui ressemble à une demoiselle plus qu’à une femme de