Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

campagne, qui sait mieux parler, et qui lui tient son ménage, non pas plus propre, mais plus coquet. Les enfants viennent, et le père, qui sait quelque chose, veut qu’ils en sachent encore plus. Une fois qu’on a un peu de savoir, on ne veut point que cela sorte de la famille, et c’est comme un héritage qu’on prend soin d’entretenir.

Tout cela demande beaucoup plus d’argent qu’il n’en faut au paysan pour vivre, pour s’établir et pour élever ses enfants. Mais les journées sont mieux payées, et on se dit que, la dépense et le profit étant doubles, la chose revient au même. De son côté, l’homme de campagne, qui ne dépense pas beaucoup et qui ne gagne guère, se tourmente l’esprit pour le temps où il sera vieux, ou pour les années où la grêle, la gelée, ou tout autre accident de saison, aura fait manquer sa récolte. Le paysan pense et prévoit beaucoup plus que l’artisan. Il ne change pas souvent d’idée comme lui ; il n’a qu’un souci, celui de ne pas manquer.

Aussi, dès qu’il a mis quelque chose de côté, il achète un peu de terre, et, si ce qu’il a mis de côté ne suffît pas, il s’endette, car il veut conserver. Supposons qu’un jour l’artisan vienne voir son frère. Voici ce qu’ils se disent :

le paysan. — Te voilà bien brave, et tu gagnes plus dans une semaine que moi dans quatre. Tes enfants ont des souliers, les miens n’ont que des sabots. Tu n’as pas de bien sur terre, mais tu as un bon état qui ne craint pas les mauvaises années. Tu