Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

orage. Tu m’as légué Sganarelle et Scapin, dont j’ai fait Figaro ; et Figaro a remué la cour et la ville, les rois et le peuple. Il a hâté la chute de ceux qui n’avaient eu que la peine de naître ; il a réhabilité l’intelligence ; il a flétri avec âcreté les entraves que la sottise et l’immoralité des favoris de la fortune voulaient river au cou des favoris de la nature. J’ai démasqué le juge prévaricateur, j’ai raillé jusqu’au sang l’esprit de censure. J’ai dit, je dis encore que les sottises imprimées n’ont d’importance que dans les lieux où on en gêne le cours, et que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. J’ai dit qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. Tout ce que j’ai dit a percé comme le poinçon, sinon gravé comme le burin. Fils d’artisan comme toi, Molière, j’ai vengé l’artisan du mépris des grands. À présent, ma tâche est finie. La nature m’avait fait vindicatif ; la Providence m’a fait vengeur.

LA MUSE.

Il est passé, le temps de la vengeance ! La raison humaine a triomphé, l’obstacle est détruit, le chemin est libre ; levez-vous, poètes de l’avenir ! Qu’elle est belle, la poésie qui se prépare ! qu’il est grand, l’art qui va naître au souffle de la liberté ! vous qui viendrez cueillir des fleurs sur cette terre féconde, n’oubliez pas qu’elle fut longtemps arrosée de sang, de sueurs et de larmes. Songez que vos pères l’ont trouvée inculte et qu’ils y ont semé la vie. Rappelez-vous qu’ils n’ont dû l’éclat du talent qu’à la grandeur de la pensée, et que le génie est stérile quand le cœur est froid. Réchauffez-vous à cet éternel foyer dont les vrais poètes ont fait jaillir l’étincelle. Promenez-en la flamme sur le monde, et que le rayonnement de la France libre s’étende du couchant à l’aurore !

Éveille-toi, Molière, et vous, ombres immortelles, remontez vers les cieux, ce sanctuaire où l’âme humaine se retrempe, et d’où les bienfaits du génie des morts retombent sans cesse sur les vivants comme une pluie fécondante.

Le nuage redescend, se perd pendant un chœur de musique, et la vision disparaît.