Page:Sand - Theatre complet 3.djvu/10

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sique serait mal venue à leur prêter ses accents. Il faudrait les laisser éternellement dans l’oubli de la tombe, et cet excès de respect ne leur serait guère favorable : les morts s’en plaindraient, et, dans les champs Élyséens, on s’entretiendrait de l’ingratitude des vivants.

Dans un ordre de créations moins importantes, tout artiste a, selon moi, le privilège de donner à son invention deux formes différentes. La vogue d’un sujet lui fait subir bien d’autres transformations. On a dansé et mimé Manon Lescaut, on a fait des opéras avec les romans de Walter Scott ; Jocelyn est un roman en vers qu’il pourrait plaire à l’auteur de refaire en prose et que l’on verra quelque jour au théâtre ; car il n’est pas de sujet réussi dans une forme quelconque qui n’ait été reproduit par l’auteur, ou par d’autres auteurs, sous des formes différentes.

Il est donc permis de faire une pièce avec un roman, ou un roman avec une pièce. L’art ne peut qu’y gagner, si la chose est faite avec conscience et avec goût. Mais, comme elle peut être faite sans goût et sans conscience, on a raison de dire : C’est selon.

Je ne m’adjugerai pas la palme du goût, mais je me défendrais, au besoin, d’avoir manqué de conscience et de soin en transportant sur la scène le sujet et les figures d’un de mes romans. Si l’on me disait que c’est le travail d’un paresseux, qui se dispense d’inventer, je répondrais que ceux qui parlent ainsi n’ont jamais mis la main à un pareil travail. Il est intéressant parce qu’il est difficile, et cette seconde création est beaucoup plus délicate et plus raisonnée que la première.

Le roman nous donne toutes nos aises. On nous y permet tous les développements nécessaires à notre pensée. Le lecteur nous quitte quand nous le fatiguons ; mais il nous revient si, à travers nos longueurs, il a saisi un type ou une situation qui l’intéresse. Le spectateur est moins patient parce qu’il ne lui est pas facile de sortir, parce qu’il est souvent mal assis, parce qu’il ne peut ni fumer ni se dégourdir les jambes, ni donner du cor pour se distraire. Il faut donc