Page:Sand - Theatre complet 3.djvu/234

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créations du sentiment comme aux sublimes œuvres du génie. J’ai dès lors osé présenter au public une pièce d’une extrême simplicité, avec la confiance que sa sincérité extrême serait accueillie, grâce au rayonnement de votre foi et au magnétisme de votre conviction. J’ai eu foi moi-même en mon œuvre, sans m’abuser sur son importance, mais en me disant que le romanesque d’une donnée de ce genre, personnifié en vous, paraîtrait aussi naturel qu’il me le paraissait à moi-même.

Le public semble donc, cette fois, m’avoir entièrement pardonné l’ingénuité, peut-être un peu surannée, qui me porte à croire que les bonnes natures et les généreuses actions ne sont pas des fantaisies insupportables. Je vous en suis bien reconnaissant, monsieur ; car une seule critique m’a affligé, dans ma vie d’artiste : c’est celle qui me reprochait de rêver des personnages trop aimants, trop dévoués, trop vertueux, c’était le mot qui frappait mes oreilles consternées. Et, quand je l’avais entendu, je revenais, me demandant si j’étais le bon et l’absurde don Quichotte, incapable de voir la vie réelle, et condamné à caresser tout seul des illusions trop douces pour être vraies.

J’avais, je vous assure, une sorte d’effroi de moi-même, comme ce pauvre Favilla, dont vous peignez si bien les angoisses secrètes quand il dit par votre bouche : Qu’a donc Marianne ? Est-ce elle, est ce moi… qui déraisonne ?

Et vous le savez par vous-même, monsieur, dans cette incertitude-là, ce n’est pas l’orgueil de l’artiste qui souffre, c’est sa croyance, c’est sa meilleure aspiration qui se révolte contre le doute. S’entendre dire que le sentiment de l’idéal est une lubie, c’est vraiment cruel pour ceux qui sentent l’amitié, l’abnégation et le désintéressement naturels et possibles.

Eh quoi ! ces choses ne sont-elles pas plus naturelles et plus possibles que leurs contraires ? Le mal n’est-il pas la chose surprenante, quand on pense que l’homme est très-intelligent, que la vertu le rend très-heureux, que la perversité est toujours le résultat d’un calcul et quelquefois d’un