Page:Sand - Theatre complet 3.djvu/284

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fants… Mais qu’est-ce que je deviendrais donc, si je ne pouvais plus vous offrir un dévouement actif, éclairé ? si je vous fatiguais de visions exaltées, moi, un homme ? Ah ! je ne me le pardonnerais pas, j’aimerais mieux être mort que funeste à ceux que j’aime.

MARIANNE.

Eh bien, c’est à moi qu’il faut pardonner d’être ainsi, et tu me le pardonneras, toi, j’en suis sûre ; tiens, j’ai absolument besoin de changer d’air et de situation ; allons-nous-en, aide-moi à tromper nos enfants sur la cause de ce voyage. Ils n’ont pas ton énergie, ta raison : ils s’inquiéteraient outre mesure ; toi, tu m’entoureras de soins, tu me dicteras… Je compte sur toi, sur toi seul, entends-tu bien, pour me rendre le calme et le bonheur !

FAVILLA.

Ah ! merci, merci, ma chère femme, ma sainte femme ! Pauvre bien-aimée I Oui, oui, tu guériras, j’en réponds ; nous irons où tu voudras.

MARIANNE.

Eh bien, à Nuremberg, avec Anselme ! et nous y vivrons comme nous y vivions autrefois, avant de venir ici, quand nos enfants étaient tout petits et que nous étions tout jeunes ! isolés, ignorés, sans protection, sans liens avec le monde extérieur, et si heureux chez nous, souviens-toi !

FAVILLA.

Oh ! si je me souviens !… C’était le temps des grandes luttes, et des grands enthousiasmes, et des grandes joies… Artiste sans nom, incertain et insouciant du lendemain, je n’aurais pas sacrifié une heure de ta tendresse pour chercher un brillant avenir ; l’avenir ! je ne l’ai jamais rêvé qu’en toi, Marianne ! dans ton estime, dans ta confiance, dans ton amour ! Eh bien, ce rêve, tu me l’as donné, je le tiens, je le possède ! Crois-tu qu’il ait perdu de son prix ? Non, non, une passion comme la nôtre ne s’affaiblit pas. Elle se retrempe dans les souvenirs, elle se sent plus jeune et plus forte, à mesure que des années de certitude lui font une base d’or pur et de dia-