Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/123

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thello de M. de Vigny, l’Hamlet de MM. Alexandre Dumas et Paul Meurice, et quelques autres essais très-louables qui ont suivi ou précédé). C’est la faute d’un progrès réel qui s’est fait dans l’art dramatique, et qui consiste principalement dans l’habileté du plan ; il est certain que le moindre vaudeville de nos jours est mieux fait, sous ce rapport, que les plus admirables drames des maîtres du temps passé.

Mais les progrès, en notre monde, ne sont jamais que relatifs. Lorsque Shakspeare s’abandonnait à l’élan fougueux ou aux délicieux caprices de son inspiration, il foulait aux pieds, avec les règles de la composition, de certains besoins bien légitimes de l’esprit : l’ordre, la sobriété, l’harmonie et la logique. Il était Shakspeare ; donc, il faisait bien, si ces écarts étaient nécessaires à l’élan du plus vaste et du plus vigoureux génie qui ait jamais embrasé le théâtre.

Aujourd’hui, les faiseurs habiles risquent de tomber dans l’excès de leur manière, qui serait d’habituer le public à un adroit échafaudage de situations trop pressées, sans ces points d’arrêts nécessaires à la réflexion, sans ces sacrifices de son impatience qu’il serait bon de lui demander quelquefois, pour l’amener à juger les caractères et à se pénétrer de la cause et du but de leur action dans la pièce, en un mot, du vrai sens de la pièce qu’on lui sert. Devant ce public blasé, distrait, et véritablement gâté par l’abondance des incidents dont on l’accable, la condescendance des écrivains dramatiques peut risquer de devenir servile, et tout ce qui est servile est coupable.

Voilà, je crois, le péril de la situation, et je l’ai déjà plus d’une fois signalé ; quelques-uns le sentent bien, et, joignant la sagesse à l’habileté, triomphent de la frivolité et de l’irréflexion de la foule.

Je ne me range pas parmi ces derniers, vous le savez, mon ami. Je ne suis habile ni dans mes écrits ni dans mes actions, ce qui ne m’empêche pas de croire que je peux tenir utilement et modestement ma place sans qu’aucune lutte m’effraye ou me décourage. Je trouve que notre théâtre moderne man-