Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, la plupart du temps, de conscience, et que sa soif ardente de succès à tout prix est quelque chose qui le fait descendre de sa dignité dans les mœurs publiques. C’est donc fort peu de moi qu’il s’agit ici : c’est de l’art et de sa mission parmi nous.

Je résume ce qui précède en disant, avec vous, n’est-ce pas, que les règles sont bonnes, pourvu qu’elles soient élastiques et puissent s’assouplir à l’individualité de chaque talent, et que, quand elles deviennent une mode ardente, absolue, exigible de la part d’un public enfiévré, elles deviennent des formes qui emportent le fond. C’est ainsi qu’à la fin de chacun de nos engouements successifs pour une manière, les arts qui devraient être des enseignements, s’efforcent de n’être plus que des amusements, et arrivent à n’être plus ni l’un ni l’autre. Quand ces désastres sont proches, ne faut-il pas secouer quelquefois de son âme les préoccupations du présent, revenir aux maîtres et retremper sa foi dans ces grands fleuves qui coulent en silence dans la nuit du passé, dans ces mines inépuisables dont l’or, respectueusement lavé, peut encore servir de critérium et de titre à la monnaie courante ? Si l’on venait nous dire, cher ami, que nous sommes des pédants de notre art, et que nous prenons trop au sérieux le frivole divertissement du théâtre, voici ce que nous aurions peut-être à répondre :

Regardez, à l’heure où le jour baisse, le mouvement qui se fait dans tous les grands centres de population. La journée de travail est finie pour les uns ; la journée d’oisiveté est finie pour les autres. Tous achèvent leur repas somptueux ou modeste, et, chaque soir, dans une ville comme Paris, une moyenne de vingt-cinq à trente mille personnes, si je ne me trompe, s’achemine vers les vingt-cinq ou trente théâtres qui s’apprêtent à les occuper ou à les distraire pendant quatre ou cinq heures. Il en a été ainsi la veille, il en sera de même le lendemain. Peu à peu, la majeure partie de la population intelligente, qu’elle paye ou entre par faveur, vient prendre place sur ces fauteuils ou sur ces banquettes, devant ce ri-