Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/181

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CÉLIA.

Quoi ! vous m’écoutiez ! Si j’avais pu le croire, je n’aurais point dit le dernier vers !

JACQUES.

Et vous eussiez bien fait, car je le déclare d’un goût détestable ! Qu’est-ce que cette métaphore ampoulée ? Demander à ce ruisseau s’il vient de source où de pluie, je vous pardonne cela ; mais supposer que des larmes d’amour puissent grossir une onde et creuser un ravin !… Voilà de vos exagérations à la mode, voilà des balivernes de vos poètes de cour, qui font pâmer d’aise les beaux petits messieurs, et soupirer vos tendres cœurs de femme !

CÉLIA.

Il se peut que le dernier vers soit hyperbolique. Mais il vous eût moins offensé s’il ne réveillait pas en vous le souvenir de quelque peine cruelle. (Elle s’approche de Jacques.) Allez, allez, beau stoïcien, si vous n’avez pas enflé le cours de ce ruisseau, c’est que vos pauvres yeux n’ont pas pu verser toutes les larmes dont votre cœur était gonflé !

JACQUES.

Où prenez-vous donc, madame, que j’aie eu un cœur si fondant et des yeux si arides ?

CÉLIA.

Je prends cela dans la pitié que vous m’inspirez !

JACQUES.

Vous me plaignez ? C’est trop de charité, vraiment !

CÉLIA.

Oh ! oui, allez, je vous plains de vous défier de tout le monde.

JACQUES.

Où donc est mon malheur, s’il vous plaît ?

CÉLIA.

Dans l’absence du bonheur de croire à quelqu’un.

JACQUES, après un moment de silence.

Voix de femme ! musique à faire danser les fous ! il y a longtemps que je ne t’écoute plus !