Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/175

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LE VOISIN.

Vous en parlez avec feu.

DURAND.

Eh bien, pourquoi donc pas ? Y entendez-vous malice ?

LE VOISIN.

Non. Je vous connais pour le plus rigide des hommes dans vos principes et dans vos mœurs ; mais je me demande si, l’aimant à ce point, vous ne songez pas à l’épouser.

DURAND, riant.

L’épouser, moi ? Ah ! la bonne idée ! Il n’y a que vous pour avoir des idées pareilles.

LE VOISIN.

À mon tour, je vous dirai : Pourquoi donc pas ? Vous êtes sans préjugés, vous !

DURAND.

Je ne sais pas ce que vous appelez des préjugés ; mais je sais que j’aime cette enfant d’un sentiment trop pur, trop paternel pour jamais songer à imposer mes quarante-cinq ans à sa verte jeunesse. Non, non, diable ! à moi une jeune femme ? Et le ridicule, et l’avenir, et le catarrhe, et le clabaudage, et la corruption inévitable autour des ménages mal assortis ! Est-ce qu’une fille d’Eve, dans une pareille situation, peut sans désespoir rester fidèle à un vieillard ? Non, vous dis-je ! Laissons Thérèse à Jean-Jacques Rousseau. Ces escapades ne sont permises qu’aux hommes de génie, lesquels eux-mêmes ne s’en trouvent pas toujours fort bien.

LE VOISIN.

Puisque vous êtes dans de si sages idées, je vois que je peux vous parler raison. Une femme de trente-deux ans est ce qu’il vous faut. Avez-vous vu ma nièce à la ville ?

DURAND, qui travaille son pavé.

Gryphée arquée ! trigonie gibbeuse…

LE VOISIN.

Qui ? ma nièce ? une griffée, une bossue ! Qu’entendez-vous par là, je vous prie ? Il n’y a ni griffes ni gibbosités dans ma famille !