Scène XIV
Ainsi, je n’ai pu empêcher son retour ! La vague a refusé d’engloutir la barque qui le ramenait, le vent n’a pas voulu déchirer la voile ! Les éléments ne m’entendent plus. Rien ne m’obéit, et Satan, le mystérieux problème, n’a pas daigné me répondre. (Regardant Bernard.) Mais la vision a su troubler son bonheur. Accablé, désolé, il m’appartient peut-être ! Essayons. (Il reste au fond, près de la fenêtre. Le vent chante au dehors d’une manière lugubre.)
Dire que je l’ai insultée, moi !… Mais, pour croire à ça, faut donc… ? Ah ! ma pauvre tête ! quel mauvais rêve !
Malheur, malheur, trois fois malheur à celui qui a blessé l’orgueil de la femme ! La femme se souvient et se venge ; elle se venge en feignant de caresser. Tu reviens à elle, tu te crois absous parce qu’elle sourit et promet ! C’est alors que, sûre de te faire souffrir, elle te foule aux pieds et te brise. Tant pis pour toi, Bernard, il ne fallait pas abandonner Francine ! — Malheur, malheur, trois fois malheur à celui qui croit pouvoir racheter un passé coupable ! Il invoque en vain la justice des hommes et la bonté du ciel. Chimère ! le ciel est sourd, les hommes sont aveugles ! L’éternelle damnation ou l’éternel néant, voilà ton avenir, à toi, créature insensée qui croit pouvoir aspirer à l’infini du bonheur ! — Malheur, malheur, trois fois malheur à qui veut lutter contre une destinée fatale ! Ses vains efforts ne servent qu’à prolonger son supplice. Vertu, dévouement, expiation, trois mots menteurs qui aigrissent la souffrance ! Bernard, Bernard, il n’y a pas loin d’ici au bord de la mer profonde ! Là est l’oubli, là est le repos, là est la fin des misères humaines !