Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui la dominaient, Valentine avait coutume, pendant les soirées d’été, de demeurer sans lumière. Bénédict chantait de mémoire, ensuite on faisait quelques tours de promenade dans le parc, ou bien l’on causait auprès d’une fenêtre où l’on respirait la bonne odeur des feuilles mouillées après une pluie d’orage, ou bien encore on allait voir la lune du haut de la colline. Cette vie eût été délicieuse si elle avait pu durer ; mais Valentine sentait bien, à ses remords, qu’elle durait déjà depuis trop longtemps.

Louise ne les quittait pas un instant ; cette surveillance sur Valentine lui semblait un devoir, et pourtant ce devoir lui devenait souvent à charge, car elle s’apercevait qu’elle y portait une jalousie toute personnelle, et alors elle éprouvait toutes les tortures d’une âme noble en lutte avec des sentiments étroits.

Un soir où Bénédict lui parut plus animé que de coutume, ses regards enflammés, l’expression de sa voix, en s’adressant à Valentine, lui firent tant de mal qu’elle se retira, découragée de son rôle et de ses chagrins. Elle alla rêver seule dans le parc. Une terrible palpitation s’empara de Bénédict lorsqu’il se vit seul avec Valentine. Elle essaya de lui parler de choses générales, sa voix tremblait. Effrayée d’elle-même, elle garda le silence quelques instants, puis elle le pria de chanter ; mais sa voix opéra sur ses nerfs une action plus violente encore, et elle sortit, le laissant seul au piano. Bénédict en eut du dépit, et il continua de chanter. Cependant Valentine s’était assise sous les arbres de la terrasse, à quelques pas de la fenêtre entr’ouverte. La voix de Bénédict lui arrivait ainsi plus suave et plus caressante parmi les feuilles émues, sur la brise odorante du soir. Tout était parfum et mélodie autour d’elle. Elle cacha sa tête dans ses mains, et, livrée à une des plus fortes séductions que la femme ait jamais bravées, elle laissa couler ses larmes. Bénédict cessa de chanter, et elle s’en aperçut à peine, tant elle était sous le charme. Il s’approcha de la fenêtre et la vit. Le salon n’était qu’au rez-de-chaussée ; il sauta sur l’herbe et s’assit à ses pieds. Comme elle ne lui parlait pas, il craignit qu’elle ne fût malade et osa écarter doucement ses mains. Alors il vit ses larmes, et laissa échapper un cri de surprise et de triomphe. Valentine, accablée de honte, voulut cacher son front dans le sein de son amant. Comment se fit-il que leurs lèvres se rencontrèrent ? Valentine voulut se défendre ; Bénédict n’eut pas la force d’obéir. Ayant que Louise fût auprès d’eux, ils avaient échangé vingt serments d’amour, vingt baisers dévorants. Louise, où étiez-vous donc ?



XXVIII.

Dès ce moment, le péril devint imminent. Bénédict se sentit si heureux qu’il en devint fier, et se mit à mépriser le danger. Il prit sa destinée en dérision, et se dit qu’avec l’amour de Valentine il devait vaincre tous les obstacles. L’orgueil du triomphe le rendit audacieux ; il imposa silence à tous les scrupules de Louise. D’ailleurs il était affranchi de l’espèce de dépendance à laquelle les soins et le dévouement de celle-ci l’avaient soumis. Depuis qu’il était guéri complètement, Louise habitait la ferme, et le soir ils se rendaient auprès de Valentine, chacun de son côté. Il arriva plusieurs fois que Louise y vint bien après lui ; il arriva même que Louise ne put pas y venir, et que Bénédict passa de longues soirées seul avec Valentine. Le lendemain, lorsque Louise interrogeait sa sœur, il lui était facile de comprendre, à son trouble, la nature de l’entretien qu’elle avait eu avec son amant, car le secret de Valentine ne pouvait plus en être un pour Louise ; elle était trop intéressée à le pénétrer pour n’y avoir pas réussi depuis longtemps. Rien ne manquait plus à son malheur, et ce qui le complétait, c’est qu’elle se sentait incapable d’y apporter un prompt remède. Louise sentait que sa faiblesse perdait Valentine. N’eût-elle eu d’autre motif que son intérêt pour elle, elle n’eût pas hésité à l’éclairer sur les dangers de sa situation ; mais rongée de jalousie comme elle l’était, et conservant toute sa fierté d’âme, elle aimait mieux exposer le bonheur de Valentine que de s’abandonner à un sentiment dont elle rougissait. Il y avait de l’égoïsme dans ce désintéressement-là.

Elle se détermina à retourner à Paris pour mettre fin au supplice qu’elle endurait, sans avoir rien décidé pour sauver sa sœur. Elle résolut seulement de l’informer de son prochain départ, et un soir, au moment où Bénédict se retira, au lieu de sortir du parc avec lui, elle dit à Valentine qu’elle voulait lui parler un instant. Ces paroles donnèrent de l’ombrage à Bénédict ; il était toujours préoccupé de l’idée que Louise, tourmentée par ses remords, voulait lui nuire auprès de Valentine. Cette idée achevait de l’aigrir contre cette femme si généreuse et si dévouée, et lui faisait porter le poids de la reconnaissance avec humeur et parcimonie.

— Ma sœur, dit Louise à Valentine, le moment est arrivé où il faut que je te quitte. Je ne puis rester plus longtemps éloignée de mon fils. Tu n’as plus besoin de moi, je pars demain.

— Demain ! s’écria Valentine effrayée ; tu me quittes, tu me laisses seule, Louise ! Et que vais-je devenir ?