Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/144

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vœu exaucé. Tu seras suzeraine dans la chamière du ravin ; tu courras parmi les taillis avec ta chèvre blanche. Tu cultiveras tes fleurs toi-même, tu dormiras sans crainte et sans souci sur le sein d’un paysan. Chère Valentine, que tu seras belle sous le chapeau de paille des faneuses ! Que tu seras adorée et obéie dans ta nouvelle demeure ! Tu n’auras qu’un serviteur et qu’un esclave, ce sera moi ; mais j’aurai plus de zèle à moi seul que toute une livrée. Tous les ouvrages pénibles me concerneront ; toi, tu n’auras d’autre soin que d’embellir ma vie et de dormir parmi les fleurs à mon côté.

Et d’ailleurs nous serons riches. J’ai doublé déjà la valeur de mes terres ; j’ai mille francs de rente ! et toi, quand tu auras vendu ce qui te reste, tu en auras à peu près autant. Nous arrondirons notre propriété. Oh ! ce sera une terre magnifique ! Nous aurons ta bonne Catherine pour factotum. Nous aurons une vache et son veau, que sais-je ?… Allons, réjouis-toi donc, fais donc des projets avec moi !…

— Hélas ! je suis accablée de tristesse, dit Valentine, et je n’ai pas la force de repousser vos rêves. Ah ! parle-moi parle-moi encore de ce bonheur ; dis-moi qu’il ne peut nous fuir : je voudrais y croire.

— Et pourquoi donc t’y refuser ?

— Je ne sais, dit-elle en mettant sa main sur sa poitrine, je sens là un poids qui m’étouffe. Le remords ! Oh ! oui, c est le remords ! je n’ai pas mérité d’être heureuse, moi, je ne dois pas l’être. J’ai été coupable ; j’ai trahi mes serments ; j’ai oublié Dieu ; Dieu me doit des châtiments, et non des récompenses.

— Chasse ces noires idées. Pauvre Valentine ! te laisseras-tu donc ainsi ronger et flétrir par le chagrin ? En quoi donc as-tu été si criminelle ? N’as-tu pas résisté assez longtemps ? N’est-ce pas moi qui suis le coupable ? N’as-tu pas expié ta faute par ta douleur ?

— Oh ! oui, mes larmes auraient dû m’en laver ! Mais, hélas ! chaque jour m’enfonçait plus avant dans l’abîme ; et qui sait si je n’y aurais pas croupi toute ma vie ? Quel mérite aurai-je à présent ? Comment réparerai-je le passé ? Toi-même, pourras-tu m’aimer toujours ? Auras-tu confiance en celle qui a trahi ses premiers serments ?

— Mais, Valentine, pense donc à tout ce qui devrait te servir d’excuse. Songe donc à ta position malheureuse et fausse. Rappelle-toi ce mari qui t’a poussée à ta perte avec préméditation, à cette mère qui a refusé de t’ouvrir ses bras dans le danger, à cette vieille femme qui n’a trouvé rien de mieux à te dire à son lit de mort que ces religieuses paroles : Ma fille, prends un amant de ton rang.

— Ah ! il est vrai, dit Valentine faisant un amer retour sur le passé, ils traitaient tous la vertu avec une incroyable légèreté. Moi seule, qu’ils accusaient, je concevais la grandeur de mes devoirs, et je voulais faire du mariage une obligation réciproque et sacrée. Mais ils riaient de ma simplicité ; l’un me parlait d’argent, l’autre de dignité, un troisième de convenances. L’ambition ou le plaisir, c’était là toute la morale de leurs actions, tout le sens de leurs préceptes ; ils m’invitaient à faillir et m’exhortaient à savoir seulement professer les dehors de la vertu. Si, au lieu d’être le fils d’un paysan, tu eusses été duc et pair, mon pauvre Bénédict, ils m’auraient portée en triomphe !

— Sois-en sûre, et ne prends donc plus les menaces de leur sottise et leur méchanceté pour les reproches de ta conscience.

Lorsque onze heures sonnèrent au coucou de la ferme, Bénédict s’apprêta à quitter Valentine. Il avait réussi à la calmer, à l’enivrer d’espoir, à la faire sourire ; mais au moment où il la pressa contre son cœur pour lui dire adieu, elle fut saisie d’une étrange terreur.

— Et si j’allais te perdre ! lui dit-elle en pâlissant. Nous avons prévu tout, hormis cela ! Avant que tout ce bonheur se réalise, tu peux mourir, Bénédict !

— Mourir ! lui dit-il en la couvrant de baisers, est-ce qu’on meurt quand on s’aime ainsi ?