Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/17

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— Louise ! lui dit-il avec ardeur ; puis il répéta : Louise ! d’un ton plus bas. — C’est un joli nom, dit-il, un nom si simple, si doux ! et c’est vous qui le portez ! au lieu que ma cousine, si bien faite pour traire les vaches et garder les moutons, s’appelle Athénaïs ! J’ai une autre cousine qui s’appelle Zoraïde, et qui vient de nommer son marmot Adhémar ! Les nobles ont bien raison de mépriser nos ridicules ; ils sont amers ! ne trouvez-vous pas ? Voici un rouet, le rouet de ma bonne tante ; qui est-ce qui le charge de laine ? qui le fait tourner patiemment en son absence ?… Ce n’est pas Athénaïs… Oh non !… elle croirait s’être dégradée si elle avait jamais touché un fuseau ; elle craindrait de redescendre à l’état d’où elle est sortie si elle savait faire un ouvrage utile. Non, non, elle sait broder, jouer de la guitare, peindre des fleurs, danser ; mais vous savez filer, Mademoiselle, vous née dans l’opulence ; vous êtes douce, humble et laborieuse… J’entends marcher là-haut. C’est elle qui revient ; elle s’était oubliée devant son miroir sans doute !…

— Bénédict ! allez donc chercher votre chapeau, cria Athénaïs du haut de l’escalier.

— Allez donc ! dit Louise à voix basse en voyant que Bénédict ne se dérangeait pas.

— Maudite soit la fête ! répondit-il sur le même ton. Je vais partir, soit ! mais dès que j’aurai déposé ma belle cousine sur la pelouse, j’aurai soin d’avoir un pied foulé et de revenir à la ferme… Y serez-vous, mademoiselle Louise ?

— Non, Monsieur, je n’y serai pas, répondit-elle avec sécheresse.

Bénédict devint rouge de dépit. Il se prépara à sortir. Madame Lhéry reparut avec une toilette moins somptueuse, mais encore plus ridicule que celle de sa fille. Le satin et la dentelle faisaient admirablement ressortir son teint cuivré par le soleil, ses traits prononcés et sa démarche roturière. Athénaïs passa un quart d’heure à s’arranger avec humeur dans le fond de la carriole, reprochant à sa mère de froisser ses manches en occupant trop d’espace à côté d’elle, et regrettant, dans son cœur, que la folie de ses parents n’eût pas encore été poussée jusqu’à se procurer une calèche.

Le père Lhéry mit son chapeau sur ses genoux afin de ne pas l’exposer aux cahots de la voiture en le gardant sur sa tête. Bénédict monta sur la banquette de devant, et, en prenant les rênes, osa jeter un dernier regard sur Louise ; mais il rencontra tant de froideur et de sévérité dans le sien qu’il baissa les yeux, se mordit les lèvres, et fouetta le cheval avec colère. Mignon partit au galop, et, coupant les profondes ornières du chemin, il imprima à la carriole de violentes secousses, funestes aux chapeaux des deux dames et à l’humeur d’Athénaïs.





III


Mais au bout de quelques pas, le bidet, naturellement peu taillé pour la course, se ralentit ; l’humeur irascible de Bénédict se