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Valentine jeta les yeux sur le billet. Le voici  :

« Monsieur Bénédict, voulez-vous accorder le piano de ma fille  ? vous me ferez plaisir.

J’ai l’honneur de vous saluer.

 » F. Comtesse DE RAIMBAULT. »

Valentine prit dans sa main le pain à cacheter, et feignit de le placer sous le feuillet ; mais elle sortit en gardant la lettre ouverte. Allait-elle donc envoyer cette insolente signification ? était-ce ainsi qu’il fallait payer Bénédict de son dévouement ? Fallait-il traiter en laquais l’homme qu’elle n’avait pas craint de marquer au front d’un baiser fraternel ? Le cœur l’emporta sur la prudence ; elle tira un crayon de sa poche, et, entre les doubles portes de l’antichambre déserte, elle traça ces mots au bas du billet de sa mère :

« Oh ! pardon ! pardon, Monsieur ! Je vous expliquerai cette invitation. Venez ; ne refusez pas de venir. Au nom de Louise, pardon ! »

Elle cacheta le billet et le remit à un domestique.





XI


Elle ne put ouvrir la lettre de Louise que le soir. C’était une longue paraphrase du peu de mots qu’elles avaient pu échanger à leur gré dans l’entrevue de la ferme. Cette lettre toute palpitante de joie et d’espoir était l’expression d’une véritable amitié de femme romanesque, expansive, sœur de l’amour, amitié pleine d’adorables puérilités et de platoniques ardeurs.

Elle terminait par ces mots :

« Le hasard m’a fait découvrir que ta mère allait demain rendre une visite dans le voisinage. Elle n’ira que vers la nuit à cause de la chaleur. Tâche de te dispenser de l’accompagner, et, dès que la nuit sera sombre, viens me trouver au bout de la grande prairie, à l’endroit du petit bois de Vavray. La lune ne se lève qu’à minuit, et cet endroit est toujours désert. »

Le lendemain, la comtesse partit vers six heures du soir, engageant Valentine à se mettre au lit, et recommandant à la marquise de veiller à ce qu’elle prît un bain de pieds bien chaud. Mais la vieille femme, tout en disant qu’elle avait élevé sept enfants et qu’elle sortait soigner une migraine, oublia bien vite tout ce qui n’était pas elle. Fidèle à ses habitudes de mollesse antique, elle se mit au bain à la place de sa petite-fille, et fit appeler sa demoiselle de compagnie pour lui lire un roman de Crébillon fils. Valentine s’échappa dès que l’ombre commença à descendre sur la colline. Elle prit une robe brune afin d’être moins aperçue dans la campagne assombrie, et, coiffée seulement de ses beaux cheveux blonds qu’agitaient les tièdes brises du soir, elle franchit la prairie d’un pied rapide.

Cette prairie avait bien une demi-lieue de long ; elle était coupée de larges ruisseaux auxquels des arbres renversés servaient de ponts. Dans l’obscurité, Valentine faillit plusieurs fois se laisser tomber. Tantôt elle accrochait sa robe à d’invisibles épines, tantôt son pied s’enfonçait dans la vase trompeuse du ruisseau. Sa marche légère éveillait des milliers de phalènes bourdonnantes ; le grillon babillard se taisait à son approche, et quelquefois une chouette endormie dans le tronc d’un vieux saule s’en échappait, et la faisait tressaillir en rasant son front de son aile souple et cotonneuse.

C’était la première fois de sa vie que Valentine se hasardait seule, la nuit, volontairement, hors du toit paternel. Quoi qu’une grande exaltation morale lui prêtât des forces, la peur s’empara d’elle parfois, et lui donnait des ailes pour raser l’herbe et franchir les ruisseaux.

Au lieu indiqué elle trouva sa sœur, qui l’attendait avec impatience. Après mille tendres caresses, elles s’assirent sur la marge d’un fossé et se mirent à causer.

— Conte-moi donc ta vie depuis que je t’ai perdue, dit Valentine à Louise.

Louise raconta ses voyages, ses chagrins, son isolement, sa misère. À peine âgée de seize ans, lorsqu’elle se trouva exilée en Allemagne auprès d’une vieille parente de sa famille, elle n’avait touché qu’une faible pension alimentaire qui ne suffisait point à la rendre indépendante. Tyrannisée par cette duègne, elle s’était enfuie en Italie, où, à force de travail et d’économie, elle avait réussi à subsister. Enfin, sa majorité étant arrivée, elle avait joui de son patrimoine, héritage fort modique, car toute la fortune de cette famille venait de la comtesse ; la terre même de Raimbault, ayant été rachetée par elle, lui appartenait en propre, et la vieille mère du général ne devait une existence agréable qu’aux bons procédés de sa belle-fille. C’est pour cette raison qu’elle la ménageait et avait abandonné entièrement Louise, afin de ne pas tomber dans l’indigence.

Quelque mince que fût la somme que toucha cette malheureuse fille, elle fut accueillie comme une richesse, et suffit de reste à des besoins qu’elle avait su restreindre. Une circonstance, qu’elle n’expliquait pas à sa sœur, l’ayant engagée à revenir à Paris, elle y était depuis six mois lorsqu’elle apprit le prochain mariage de Valentine. Dévorée du désir de revoir sa patrie et sa sœur, elle avait écrit à sa nourrice madame Lhéry  ; et celle-ci,