Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/49

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bonne et aimante femme, qui n’avait jamais cessé de correspondre de loin en loin avec elle, se hâta de l’inviter à venir secrètement passer quelques semaines à la ferme. Louise accepta avec empressement, dans la crainte que le mariage de Valentine ne mît bientôt une plus invincible barrière entre elles deux.

— À Dieu ne plaise ! répondit Valentine ; ce sera au contraire le signal de notre rapprochement. Mais, dis-moi, Louise, dans tout ce que tu viens de me raconter, tu as omis une circonstance bien intéressante pour moi… Tu ne m’as pas dit si…

Et Valentine, embarrassée de prononcer un seul mot qui eût rapport à cette terrible faute de sa sœur, qu’elle eût voulu effacer au prix de tout son sang, sentit sa langue se paralyser et son front se couvrir d’une sueur brûlante.

Louise comprit, et malgré les déchirants remords de sa vie, aucun reproche n’enfonça dans son cœur une pointe si acérée que cet embarras et ce silence. Elle laissa tomber sa tête sur ses mains, et, facile à aigrir après une vie de malheur, elle trouva que Valentine lui faisait plus de mal à elle seule que tous les autres ensemble. Mais, revenant bientôt à la raison, elle se dit que Valentine souffrait par excès de délicatesse ; elle comprit qu’il en avait déjà bien coûté à cette jeune fille si pudique pour appeler une confidence plus intime et pour oser seulement la désirer.

— Eh bien ! Valentine, dit-elle en passant un de ses bras au cou de sa jeune sœur.

Puis Valentine, essuyant ses yeux, réussit par un sublime effort à dépouiller la rigidité de la jeune vierge pour s’élever au rôle de l’amie généreuse et forte.

— Dis-moi, s’écria-t-elle ; il est dans tout cela un être qui a dû étendre son influence sacrée sur toute ta vie, un être que je ne connais pas, dont j’ignore le nom, mais qu’il m’a semblé parfois aimer de toute la force du sang et de toute la volonté de ma tendresse pour toi…

— Tu veux donc que je t’en parle, ô ma courageuse sœur ! J’ai cru que je n’oserais jamais te rappeler son existence. Eh bien ! ta grandeur d’âme surpasse tout ce que j’en espérais. Mon fils existe, il ne m’a jamais quittée ; c’est moi qui l’ai élevé. Je n’ai point essayé de dissimuler ma faute en l’éloignant de moi ou en lui refusant mon nom. Partout il m’a suivie, partout sa présence a révélé mon malheur et mon repentir. Et, le croiras-tu, Valentine ? j’ai fini par mettre ma gloire à me proclamer sa mère, et dans toutes les âmes justes j’ai trouvé mon absolution en faveur de mon courage.

— Et quand même je ne serais pas ta sœur et ta fille aussi, répondit Valentine, je voudrais être au nombre de ces justes. Mais où est-il ?

— Mon Valentin est à Paris, dans un collège. C’est pour l’y conduire que j’ai quitté l’Italie, et c’est pour te voir que je me suis séparée de lui depuis un mois. Il est beau, mon fils, Valentine ; il est aimant ; il te connaît ; il désire ardemment embrasser celle dont il porte le nom, et il te ressemble. Il est blond et calme comme toi ; à quatorze