Page:Sand - Valvèdre.djvu/238

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l’esprit, ces mélodies qui chantaient dans mon âme, et qui me donnaient comme une rage de déballer mon hautbois, condamné au silence ! Elle était artiste par-dessus le marché, lorsqu’elle avait un instant pour l’être, et sans vouloir d’autre public que Rosa, d’autre confident que son oreiller ! Et certes, elle ne le tourmentait pas longtemps, cet oreiller virginal, car elle avait sur les joues la fraîcheur veloutée que donnent le sommeil pur et la joie de vivre en plein épanouissement. Et moi, je rejetais toute étude technique, tant je craignais d’attiédir mon souffle et de ralentir mon inspiration ! Je ne croyais pas que la vie pût être scindée par une série de préoccupations diverses ; j’avais toujours trouvé mauvais que les poëtes fissent du raisonnement ou de la philosophie, et que les femmes eussent d’autre souci que celui d’être belles. J’étais soigneux pour mon compte de laisser inactives les facultés variées que ma première éducation avait développées en moi jusqu’à un certain point ; j’étais jaloux de n’avoir qu’une lyre pour manifestation et une seule corde à cette lyre retentissante qui devait ébranler le monde… et qui n’avait encore rien dit !

— Soit ! pensais-je, Adélaïde est une femme supérieure, c’est-à-dire une espèce d’homme. Elle ne sera pas longtemps belle, il lui poussera de la barbe. Si elle se marie, ce sera avec un imbécile qui, ne se doutant pas de sa propre infériorité, n’aura pas peur d’elle. On peut admirer, estimer, considérer de telles exceptions ; mais ne mettent-elles pas les amours en fuite ?