Page:Sand - Valvèdre.djvu/240

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âge et les soins que j’avais eus pour Adélaïde enfant. Il me semblait la revoir avec ses cheveux bruns et ses grands yeux tranquilles, nature active et douce, jamais bruyante, déjà polie et facile à égayer, sans être importune quand on ne s’occupait pas d’elle. Je croyais, dans ce mirage du passé, entendre ma mère s’écrier : « Quelle sage et belle fille ! Je voudrais qu’elle fût à moi ! » et madame Obernay lui répondre : « Qui sait ? Cela pourrait bien se faire un jour ! »

Et le jour où cela aurait pu être en effet, le jour où j’aurais pu conduire dans les bras de ma mère cette créature accomplie, orgueil d’une ville et joie d’une famille, idéal d’un poëte à coup sûr, le poëte indécis et chagrin, stérile et mécontent de lui-même, s’efforçait de la rabaisser et se défendait mal de l’envie !

Ces étrangetés un peu monstrueuses de ma situation morale n’étaient que trop motivées par l’oisiveté de ma raison et l’activité maladive de ma fantaisie. Quand j’eus brûlé mon manuscrit, je crus pouvoir le recommencer à ma satisfaction nouvelle, et il n’en fut rien. J’étais attiré sans cesse vers ce jardin où le secret de ma vie s’agitait peut-être à deux pas de moi sans que je voulusse le connaître. Quand je sentais approcher Valvèdre ou l’une de ses sœurs avec M. Obernay ou avec Henri, je croyais toujours entendre prononcer mon nom. Je prêtais l’oreille malgré moi, et, quand je m’étais assuré qu’il n’était nullement question de moi, je m’éloignais sans m’apercevoir de l’inconséquence de ma conduite.