Page:Sand - Valvèdre.djvu/302

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amour. Transfuges de la société, nous pouvions encore bâtir un tabernacle dans le désert et servir la cause sublime de l’idéal. N’étions-nous pas des anges en comparaison de ces viveurs grossiers qui se dépravent dans l’abus de la vie positive ? Alida, brisant toute son existence pour me suivre, n’était-elle point digne d’une tendre et respectueuse pitié ? Moi-même, acceptant avec énergie son passé douteux et le déshonneur qu’elle bravait, n’étais-je pas un homme plus délicat et plus noble que celui qui cherche dans la débauche ou dans la cupidité l’oubli de son rêve et le débarras de son orgueil ?

Mais l’opinion, jalouse de maintenir l’ordre établi, ne veut pas qu’on s’isole d’elle, et elle se montre plus tolérante pour ceux qui se donnent au vice facile, au travers répandu, que pour ceux qui se recueillent et cherchent des mérites qu’elle n’a pas consacrés. Elle est inexorable pour qui ne lui demande rien, pour les amants qui ne veulent pas de son pardon, pour les penseurs qui, dans leur entretien avec Dieu, ne veulent pas la consulter.

Nous entrions donc, Alida et moi, non pas seulement dans la solitude du fait, mais dans celle du sentiment et de l’idée. Restait à savoir si nous étions assez forts pour cette lutte effroyable.

Nous nous fîmes cette illusion, et, tant qu’elle dura, elle nous soutint ; mais il faut, ou une grande valeur intellectuelle, ou une grande expérience de la vie pour demeurer ainsi, sans ennui et sans effroi, dans