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le saloir de mayence

rêver : c’était un Allemand à lunettes, grand, large d’épaules, un peu voûté, un peu usé, avec l’air accablé de surscience d’un instituteur boche. D’une voix hésitante et appliquée, il appela l’un de nous, le sous-lieutenant L***, qu’on disait être professeur de lettres au Lycée Louis-le-Grand, et le pria de venir avec lui. L*** sortit, vêtu de sa chemise et de son caleçon et drapé de sa couverture blanche comme d’une toge. L’ordonnance belge se trouvait à point nommé dans la chambre pour nous renseigner. L*** allait subir l’interrogatoire officiel d’usage. Puis il irait prendre sa place parmi les prisonniers ordinaires du camp. Nous ne le reverrons pas dans la chambre no 28, car nous ne devons pas connaître dans quelles conditions se passe l’interrogatoire de rigueur.

La veillée reprend, lugubre, dans la chambre mal éclairée. L’homme de Hansi ne reparaît pas dans l’embrasure de la porte. On n’interrogera plus personne aujourd’hui. Mais nous pouvons espérer que demain nous serons tous appelés, l’un après l’autre, par l’instituteur à lunettes. Demain soir, il n’y aura peut-être plus personne dans la chambre no 28. Nous serons tous peut-être, demain soir, des prisonniers comme les autres au milieu des autres. Notre vie au camp de Mayence commencera. Pour l’instant, nous n’avons pas d’ambition plus grande. Cependant, l’ordonnance belge refrène un peu notre espoir. Tous les officiers ne restent pas forcément à Mayence. Le camp de Mayence n’est qu’un camp de passage pour beaucoup. Ils arrivent, on les incorpore, on les trie, on les classe, et puis on les garde ici, ou bien on les expédie plus ou moins vite sur un camp quelconque d’officiers