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vers un autre camp

tourner et qu’après tout la France est toujours à la merci d’une révolution, car elle doit être lasse de la guerre, il faut user de tous les moyens pour détruire ses prisonniers. Sans les étrangler dans leurs geôles, on peut ruiner leur santé morale et du même coup toucher la France en plein cœur. La méchanceté doucereuse de l’Allemagne de 1916, mal fardée, ne vaut pas mieux que la méchanceté cynique de l’Allemagne de 1914.

Voilà pourquoi nous n’avions pas envie d’écouter notre gardien dans ce vagon qui nous emportait vers une destination inconnue. C’était un homme de 46 ans, blond et pâle. Il avait l’air fatigué. À peine étions-nous installés que lui-même se mettait à l’aise, enlevait son équipement, posait son fusil dans le filet à bagages, ôtait le shako de cuir bouilli à double visière et se coiffait de la calotte ronde à bandeau rouge. Singulier gardien, qui alla jusqu’à nous offrir des cigares, et qui n’avait sans doute pas d’illusions sur nos chances de lui échapper.

Petit-Jean avouait :

« Ce que je sais le mieux, c’est mon commencement. »

Pareil à Petit-Jean, ce que je connais le moins mal de toute l’Allemagne, ce sont nos marches de l’Est. Depuis Pierrepont, je roule à travers des régions dont les points principaux me rappellent tel détail d’histoire, ou tel fragment de poème, ou telle légende. Tout un bric-à-brac de souvenirs scolaires me revient. Quoi de plus odieux que ces réminiscences stupides dans un moment pareil, où je voudrais ignorer absolument tout des pays que je traverse ? Et comme ce nom de