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le purgatoire

Nous étions désorientés. Nous manquions à peu près de tout et nous ne savions pas encore de quoi nous meublerions notre oisiveté. Les uns parlaient d’apprendre l’allemand, ou l’anglais, voire le russe ; d’autres, de continuer leurs études, interrompues par la mobilisation ; d’autres, de se préparer à une carrière quelconque, ou de se perfectionner dans leur spécialité ; tous enfin, de travailler à s’enrichir intellectuellement pendant ces loisirs forcés que la guerre nous apportait. En attendant que nous parvinssent les livres nécessaires, nous nous promenions dans la cour, autour du bâtiment de notre prison. À chaque tour, nous passions devant la baraque qui servait de corps de garde au poste de police. De rares civils se risquaient sur la route, le long de nos fils de fer, et ils n’osaient pas nous regarder avec trop d’insistance. Le soleil de cette fin de mars nous réchauffait dans la journée. Nous prolongions ces délices, jusqu’au dernier moment, en dévidant nos souvenirs, en discutant nos espoirs, en mettant au point nos impressions nouvelles de captivité.

La journée s’achevait. Je frissonnais au vent du soir, et, rentré dans ma chambre où quatre officiers jouaient au bridge, comme l’appel ne devait avoir lieu qu’à neuf heures, dans le corridor, j’assistais à la réussite d’un « trois piques contrés ».