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le purgatoire

soleil, dans la cour. La kantine vendait naturellement des pliants et des fauteuils de paquebot. L’après-midi, aux instants le plus chauds, la prison prenait des airs de maison de convalescence, comme une autre Villa des Oiseaux. Les Anglais en particulier pratiquaient beaucoup la chaise-longue au grand air. Ils s’installaient au milieu de nous, fumaient une pipe de tabac blond, tiraient un livre de leur poche, l’ouvraient, renversaient la tête, se posaient les poèmes de Rossetti sur les yeux, et s’endormaient.

Mais c’est le dimanche que les fauteuils s’accumulaient le long des fils de fer. Le dimanche, en effet, les prisonniers mettent une certaine coquetterie à suspendre leurs minces occupations. On revêt sa meilleure vareuse ; presque tous les officiers assistent à la messe, dans le réfectoire transformé en chapelle pour la circonstance, et ce zèle religieux n’est pas une des choses qui surprennent le moins nos bons geôliers. Ils nous croyaient de farouches athées, comme le docteur juif nous croyait tous syphilitiques. La guerre aura redressé bien des erreurs dans l’omnisciente Allemagne.

Que pensent de nous les civils qui passent de l’autre côté de la clôture, sur le chemin qui monte vers le bois de pins, là-haut, au sommet de cette colline ? Ils nous regardent comme on regarde les fauves dans un jardin zoologique. Car, comme nous, ils chôment, et ils profitent de la douceur du temps pour aller à la campagne.

Un de ces dimanches d’avril, au bout de la prairie, là où le domaine des prisonniers se termine en pointe de triangle, deux officiers faisaient les cent pas en fumant des cigarettes. Une vieille femme descendait