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le purgatoire

l’on avait servi des dîners de ce genre aux voyageurs conscients et organisés.

Quelques jours plus tôt, dans la Frankfùrter Zeitùng, à la rubrique des tribunaux, j’avais lu une histoire assez stupéfiante. Il s’agissait d’un habile commerçant qui avait inventé un ersatz extraordinaire, un produit spécial destiné à remplacer à la fois l’huile et le vinaigre nécessaires à la salade. Hélas ! des acheteurs se plaignirent de la qualité du produit. On l’analysa, et les experts fournirent les résultats suivants :

  Eau pure = 99,7 %  
matières solides = 00,3 %
matières grasses = 00,00 %

L’inventeur fut récompensé par deux mois de prison et le tribunal lui infligea mille marks d’amende. La Frankfùrter Zeitùng est un journal sérieux. Elle ne publie pas des farces à la Cami, et G. de Pawlowsky, si fécond en « dernières nouveautés », ne figurerait pas au nombre de ses rédacteurs. Mais que présagez-vous d’un pays où l’on peut mettre en vente un produit comme celui-là et où les buffets de gare présentent aux civils des repas aussi magnifiques ? M’accusera-t-on de partialité, si j’insinue que ce pays-là ne possède peut-être pas de quoi manger à sa faim ? On est tellement persuadé chez nous que les gazettes et le gouvernement nous ont gorgés de mensonges, que l’on finit par douter de tout, sous prétexte que la famine, annoncée peut-être avec trop d’éclat, n’a pas anéanti les Boches en six semaines. Pourtant, si la famine souhaitée ne s’est pas produite, la faim a fait son œuvre lente et sûre. Seulement, en France, nous avons mal posé la question.