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familles. Pour l’Allemand au contraire, la pomme de terre est une chose substantielle que l’on ne traite pas en fantaisie. On la mange ordinairement au naturel, en robe de chambre : pellkartofell, pomme de terre en peau, que l’on mange avec tout, avec le canard au jus, avec les œufs sur le plat et avec la saucisse fumée. Sur le plus grand nombre des tables boches, elles apparaissent en même temps que les hors-d’œuvre pour ne disparaître qu’à la fin du dessert. Cette coutume ne date pas de la guerre. Tout au plus a-t-elle été systématiquement préconisée par les autorités civiles et militaires afin de parer quand même à la pénurie de pain, dont je ne dis pas que l’Allemand fasse fi. Chez nous, on poussait le paysan à cultiver du blé, du blé, et du blé. Là-bas, c’est la culture de la pomme de terre qui était ordonnée. Les gazettes boches débordaient de lamentations, en 1916, parce que la gelée avait réduit des deux tiers la récolte tant attendue des kartoffeln. On nous rationna. Alors je compris le rôle du pain et de la pomme de terre dans la grande guerre.

Un matin, j’ai lu dans la Frankfùrter Zeitùng, sous la signature de Kory Towski, les vers suivants :

La pomme de terre d’empire.

Je suis la pomme de terre d’empire,
Le sauveur du peuple allemand,
Et, si l’épée allemande est victorieuse
Et si le Français ne conquiert pas le Rhin,
Je suis la pomme de terre d’empire,
J’y suis pour ma part.

Je suis le noble tubercule
Qui agit en secret.