Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
269
la faim en allemagne

Qu’on soit empereur ou palefrenier,
J’ai droit sur la table à une place d’honneur.
Je suis le noble tubercule
Qui garantit la force de l’Allemagne.

Et que revienne la paix
Avec ses dindes, ses saumons et ses gibiers,
Je le sais, quand vous mangerez du caviar,
Vous oublierez vite les pommes de terre en robe ;
Oui, que revienne la paix,
Mon image modeste s’effacera.

Pourtant dans l’histoire du monde
Je soutiens mon rang
Et, si l’Empire ne sombre pas,
Si au contraire il se dresse triplement magnifique,
Alors l’histoire du monde me payera
À moi aussi, un jour, le tribut de sa reconnaissance.

Ces vers apportent une preuve. Les expressions qu’on y relève attestent ce caractère d’importance de la kartoffel allemande. L’auteur l’appelle : die Reichskartoffel, la patate d’empire, comme on dit une terre ou une loi d’empire. Elle est nettement sacrée comme le salut de l’Allemagne à quoi doit aller la reconnaissance nationale après la victoire, s’il y a victoire ; et le mot Heil, salut, se hausse à une nuance religieuse. Mais ce petit poème, de style d’ailleurs très médiocre, n’est que de peu de prix auprès de cet autre, que j’ai trouvé la même année, dans le même journal[1]. Celui-ci est signé Emil Claar, et il est écrit en vers libres. Il est encore plus ébouriffant que le premier. Écoutez :

  1. Frankfùrter Zeitùng, 28 octobre 1916.