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le purgatoire
À la pomme de terre.

Infatigablement jaillie du sombre flux de la terre,
Perle de la maison bourgeoise allemande,
Âprement évoquée, vivement conjurée,
Apaisante nounou d’un festin modéré,
ApaisanteÔ pomme de terre !

Pour toi, aujourd’hui, dans un amour pressant,
On discute, on combat, on crie et l’on écrit,
Des millions de langues indigentes
Te célèbrent par des cantiques sacrés,
Comme jamais fruit ne fut célébré,
Comme rarement le fut un être vivant,
Et dans la fuite des événements
Tu demeures pour la sauvegarde du peuple élu,
ApaisanteÔ pomme de terre !

Ni les figues, ni les bananes, ni les tendres olives,
Ni les merveilles du Sud qui distillent des douceurs,
Rien n’a fait résonner du bruit de sa gloire
Le monde attentif avec autant d’éclat
ApaisanteQue toi, ô pomme de terre !

Ni les huîtres, ni les truites, ni les truffes aromatiques,
Ni les entrecôtes des buffles succulents,
Rien n’a jamais ému,
Ô désir ardent des grands et des petits,
Comme tu émeus, dans la nécessité qui ronge,
Toi, réconfortante sœur du pain sec,
ApaisanteÔ chère pomme de terre !

Car tu es la constante, la loyale,
L’aide de l’estomac affamé,
Celle qui a des soins maternels, l’indispensable,
La fidèle gardienne d’un plaisir simple.
Tu te dédoubles au temps rigoureux,
Banquet sacré de la satisfaction.
À toi compagne bien-aimée, à toi, bienfaisante,
Vers qui le pauvre se penche avec confiance
Quand, trésor de la glèbe féconde,
Tu surgis des sillons comme une vraie délivrance,
ApaisanteSalut à toi, ô pomme de terre !