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ACTE CINQUIÈME.

CORDELIA.

Oui !

GIUGURTA, hors de lui.

Ton mari !… cet artisan !… ce fils de la rue !… Toi Patricienne !… une Saracini ! ma sœur ! — O fille sans vergogne ! opprobre de ma race ! Ton mari !… Et voilà tout le châtiment de son crime envers toi ?

CORDELIA.

Et pourquoi toujours son crime, Giugurta ?… et jamais ce qu’il a fait pour l’expier ? — J’en suis la seule victime !… son crime !.. Mais l’exploit qui le rachète !… c’est la délivrance de Sienne tout entière !…

GIUGURTA.

Quand je dis… vile créature,… que tu te plais à accepter ta honte !…

CORDELIA.

Eh bien ! oui, je l’accepte ! (Mouvement de Giugurta.) Oui ! — Et dussé-je en porter le poids toute ma vie… sans rien qui l’efface ni la répare… Non, je ne crois pas le salut de tout un peuple payé trop cher, du prix même de mon honneur !… Va je le sens bien là, maintenant… ce n’est plus une honte, ce qui ne m’a ravalé si bas, que pour relever si haut ma Patrie !… et je le crierais à l’univers entier !… Tout ce qu’il fait là d’héroïque, cet homme !… c’est à cause de moi… c’est pour moi !… Et j’en suis fière !… et je l’honore, ce coupable… et je l’admire !… et je l’aime !…

GIUGURTA.

Oh ! misérable !…

CORDELIA, avec passion.

Oui… je l’aime !… Oui !… Tue-moi si tu veux !… je l’aime !…

GIUGURTA, terrible.

Et c’est pour cet amour, délatrice infâme, que tu livrais ton frère ?…