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LES FEMMES FORTES.

LACHAPELLE.

À ce point que j’hésite depuis longtemps à vous le dire de peur de réveiller un souvenir douloureux.

CLAIRE.

Un seul, monsieur, la mort de mon pauvre père.

LACHAPELLE, vivement.

Qui vous a ruinée, j’en suis sûr, car il spéculait !…

CLAIRE, l’interrompant.

S’il était là… je serais trop riche.

LACHAPELLE.

Et recueillie par M. Quentin votre parrain, vous avez pu vous résigner à cette vie bourgeoise, étriquée, mesquine ?…

CLAIRE.

Il n’y a pas de vie mesquine, monsieur Lachapelle, il n’y a que des esprits mesquins ; et là où il y a des devoirs à remplir, tout est grand !

LACHAPELLE, la regardant.

Est-ce possible ! cette force d’âme ! (À part.) Quelle femme ! (Haut.) Et le piano, et le chant, et le dessin ! car vous dessiniez aussi… tous les arts d’agrément !

CLAIRE.

Chut ! ne parlons plus de cela !… Aujourd’hui, je couds, je range et je compte… Tous les arts d’utilité !…

LACHAPELLE.

Sans regrets ?

CLAIRE.

Sans regrets !… non ! mais sans chagrin !

LACHAPELLE, à part.

Quelle femme !

CLAIRE.

Mais vous vouliez me parler de vous… Il me semble que nous nous égarons.

LACHAPELLE.

Au contraire, nous sommes arrivés ! (Il se lève.) Mademoiselle, j’ai trente ans, je suis de bonne maison, estimé, honoré, aimé, j’ai vingt-cinq mille livres de rentes et des espérances ; je vous aime, et j’ai l’honneur de vous demander votre main.

CLAIRE, très-surprise et se levant.

À moi ?